Une forme de discrimination méconnue
Le terme « psychophobie » reste absent du langage courant, peu utilisé dans les médias et rarement mentionné dans les textes juridiques. Pourtant, il désigne une réalité bien tangible : la stigmatisation, l’exclusion et les discriminations vécues par les personnes ayant des troubles psychiques. Cette discrimination, souvent banalisée, traverse tous les aspects de la vie sociale, du monde du travail aux soins, en passant par la famille, l’école ou les services publics.
Parce qu’elle est mal nommée, la psychophobie reste invisible. Elle est rarement pensée comme une injustice systémique, alors qu’elle touche des millions de personnes, parfois dès l’enfance, et tout au long de la vie. Elle prend racine dans les représentations sociales déformées de la folie, dans la peur de la différence, et dans le rejet de ce qui ne correspond pas aux normes de comportement, d’émotion ou de pensée.
Des conséquences lourdes et durables
La psychophobie a des effets directs sur la vie des personnes concernées. Dans le monde professionnel, elle se traduit par des refus d’embauche, des licenciements injustifiés ou des brimades. Dans le système de soins, elle mène à des prises en charge déshumanisantes ou inadaptées. Dans la vie sociale, elle provoque isolement, moqueries, infantilisation, voire violences.
Ces discriminations ne sont pas seulement ponctuelles : elles s’accumulent, se répètent, se renforcent. Elles fragilisent l’estime de soi, entravent le rétablissement, et alimentent la peur de parler, de demander de l’aide ou d’exister pleinement. Beaucoup de personnes préfèrent taire leur diagnostic ou leur parcours de soin, de peur d’être jugées, rejetées ou réduites à leur trouble.
Une violence institutionnelle silencieuse
Au-delà des attitudes individuelles, la psychophobie est également institutionnelle. Elle se manifeste dans des politiques publiques qui ne prennent pas en compte les besoins spécifiques des personnes concernées. Dans les formations médicales, sociales ou éducatives, la question des troubles psychiques est souvent abordée de manière technique, voire stigmatisante, sans jamais inclure les personnes concernées comme actrices de leur propre vie.
Certaines pratiques psychiatriques elles-mêmes peuvent être psychophobes : enfermements abusifs, soins sous contrainte, absence de consentement éclairé, négligence ou non-respect de la parole du patient. Ces violences institutionnelles sont rarement dénoncées et encore moins sanctionnées.
Reconnaître pour mieux agir
Nommer la psychophobie, c’est reconnaître qu’il ne s’agit pas de cas isolés ou de malentendus. C’est admettre l’existence d’un système de domination et de rejet fondé sur une hiérarchisation des existences. C’est aussi créer les conditions d’une lutte structurée, comme cela a été fait pour d’autres formes de discriminations (racisme, sexisme, validisme, etc.).
Cela suppose une réforme en profondeur des politiques de santé mentale, mais aussi un changement culturel : repenser les représentations de la folie, valoriser les savoirs issus de l’expérience, inclure les personnes concernées dans les débats publics et les prises de décision. C’est aussi reconnaître la pair-aidance, la réappropriation de la parole, et le droit au rétablissement dans la dignité.
Un combat qui commence par l’écoute
Combattre la psychophobie, ce n’est pas seulement sensibiliser : c’est écouter, sans filtre ni hiérarchie, les récits de celles et ceux qui vivent avec un trouble psychique. C’est prendre au sérieux leurs revendications, reconnaître leurs droits, et remettre en question nos certitudes sur la « normalité ».
Cela passe aussi par une remise en cause de nos réflexes collectifs : rire des « fous », parler de « crise de nerfs » comme d’un défaut de caractère, associer la maladie mentale à la violence ou à l’échec. Ce sont autant de réflexes à déconstruire pour bâtir une société réellement inclusive.
Pour une société qui ne laisse personne de côté
La psychophobie n’est pas une fatalité. Elle est le produit de l’ignorance, de la peur et de l’absence de débat. Mais elle peut être combattue. En la nommant, en la visibilisant, en créant des alliances entre mouvements sociaux, en écoutant les personnes concernées, nous pouvons avancer vers une société plus juste.
Une société où avoir un trouble psychique ne signifie plus être mise à l’écart. Une société qui considère la santé mentale comme une question de droits, et non comme une charge. Une société, enfin, qui reconnaît à chacun et chacune une place pleine et entière, quelle que soit sa manière d’être au monde.
Psychophobie