La pandémie de COVID-19 a été un événement mondial sans précédent, bouleversant brutalement tous les aspects de la vie quotidienne. Si les conséquences sanitaires, économiques et sociales ont été largement médiatisées, un autre impact, plus silencieux mais tout aussi profond, émerge progressivement : celui sur la santé mentale des jeunes. Aujourd’hui, plusieurs années après les premières vagues de contamination, les signes sont clairs : l’après-COVID a laissé une empreinte durable sur une génération entière, marquée par une montée préoccupante de l’anxiété.
Avant même la pandémie, les adolescents et jeunes adultes faisaient déjà face à de multiples sources de pression : exigences scolaires, instabilité de l’avenir professionnel, pression sociale et numérique, préoccupations environnementales… Mais avec l’arrivée soudaine du COVID-19, ces préoccupations se sont intensifiées et multipliées. Confinements prolongés, rupture des liens sociaux, fermeture des établissements éducatifs, incertitude face à l’avenir : la pandémie a provoqué une perte de repères brutale à un moment crucial de la construction identitaire.
Contrairement aux adultes, les jeunes ont vécu cette période de restrictions et d’isolement à une étape de leur vie où le développement social, affectif et personnel est primordial. Pour beaucoup, les années 2020 et 2021 ont été marquées non pas par les découvertes, les premières expériences ou la liberté, mais par la solitude, la peur, l’ennui, la frustration et le doute. Les rites de passage habituels – fêtes, examens, diplômes, débuts professionnels – ont été retardés ou annulés. Le sentiment d’avoir « perdu du temps » est revenu comme un refrain douloureux chez une partie importante de la jeunesse.
L’impact de cette période se mesure aujourd’hui dans les chiffres comme dans les témoignages. Les consultations pour troubles anxieux ont explosé. Les centres de santé mentale pour adolescents sont saturés, les psychologues scolaires dépassés, et les listes d’attente s’allongent dangereusement. De plus en plus de jeunes déclarent souffrir de crises d’angoisse, de troubles du sommeil, d’irritabilité chronique ou d’un sentiment de vide permanent. Derrière ces symptômes se cache souvent un mal-être profond, un déséquilibre installé pendant la pandémie et qui ne s’est jamais totalement résorbé.
Ce qui rend cette situation particulièrement préoccupante, c’est que les troubles anxieux post-pandémie ne touchent pas seulement les jeunes considérés comme vulnérables. Ils concernent toutes les catégories sociales, tous les profils scolaires, toutes les personnalités. Le malaise est diffus, généralisé, et bien souvent, invisible. De nombreux jeunes continuent de fonctionner « normalement » en apparence, mais vivent une tension intérieure permanente, un stress sous-jacent qui finit par s’accumuler jusqu’à l’épuisement.
Les réseaux sociaux, déjà omniprésents avant la crise, ont parfois aggravé ce malaise. Pendant les confinements, ils ont été un des seuls moyens de rester en contact avec les autres — mais ils ont aussi renforcé le sentiment de comparaison, de solitude et d’insatisfaction. Dans un monde où l’image est tout, il devient difficile pour un jeune de parler librement de son anxiété sans craindre d’être jugé ou incompris. Beaucoup préfèrent alors se taire, enfouir leur mal-être, jusqu’à ce qu’il devienne trop lourd à porter seul.
Face à cette situation, les réponses institutionnelles restent souvent insuffisantes. La santé mentale des jeunes, longtemps négligée, peine à être considérée comme une priorité nationale. Les budgets alloués aux services psychologiques dans les établissements scolaires et universitaires restent très faibles, alors que la demande explose. L’accès aux soins psychologiques reste inégal et parfois hors de portée pour de nombreuses familles. En parallèle, le manque de formation des adultes encadrants – enseignants, éducateurs, parents – pour reconnaître et accompagner les troubles anxieux complique encore la prise en charge précoce.
Mais tout n’est pas noir. Ces dernières années, un changement de mentalité est en cours. De plus en plus de jeunes osent parler ouvertement de leur santé mentale. Des initiatives citoyennes, associatives et institutionnelles voient le jour pour sensibiliser, informer, et offrir des espaces d’écoute bienveillants. La parole se libère peu à peu, les tabous tombent, et la santé psychologique est désormais reconnue comme un enjeu aussi fondamental que la santé physique.
Il reste cependant un immense travail à accomplir. Il ne suffit pas de soigner : il faut aussi prévenir. Offrir aux jeunes les outils pour comprendre leurs émotions, pour gérer le stress, pour se construire une identité résiliente et stable face aux incertitudes du monde. Cela passe par une réforme en profondeur de l’éducation, qui devrait inclure une vraie formation à la santé mentale, au développement personnel, à l’écoute de soi et des autres. Cela passe aussi par un engagement politique fort : celui de garantir à chaque jeune un accès rapide et gratuit à un soutien psychologique de qualité.
Car au fond, il s’agit d’une responsabilité collective. Une société qui laisse ses jeunes sombrer dans l’anxiété sans leur tendre la main est une société en danger. À l’inverse, une société qui prend soin de sa jeunesse, qui écoute ses peurs, qui l’aide à transformer l’angoisse en force de changement, est une société qui se donne un avenir.
La génération post-COVID n’est pas une génération perdue. C’est une génération lucide, sensible, en quête de sens et de repères. Si elle est marquée par l’anxiété, elle l’est aussi par une volonté de comprendre, de questionner, de reconstruire autrement. À nous de lui donner les moyens d’avancer. Ensemble.
Jeunes et anxiété