L’association entre criminalité et troubles mentaux continue de susciter de vifs débats, tant dans l’espace public que dans les milieux scientifiques et politiques. À chaque fait divers impliquant une personne atteinte d’un trouble psychique, l’opinion publique est rapidement traversée par des discours alarmistes, qui suggèrent un lien direct entre maladie mentale et dangerosité. Cette perception profondément ancrée soulève une question essentielle : repose-t-elle sur une vérité scientifique ou s’agit-il d’une stigmatisation sociale injustifiée ?
Historiquement, les personnes atteintes de troubles mentaux ont souvent été perçues comme déviantes ou menaçantes. Cette vision, héritée d’époques où la psychiatrie n’en était qu’à ses balbutiements, a longtemps justifié l’isolement des malades dans des institutions fermées. Aujourd’hui encore, les représentations populaires peinent à se départir de cette image. Les médias, en particulier, jouent un rôle central dans le maintien de ce stéréotype, en accordant une attention disproportionnée aux cas où un acte criminel est commis par une personne souffrant de troubles mentaux. Ce phénomène contribue à entretenir la peur, souvent au détriment de la rigueur scientifique.
Sur le plan des données empiriques, les recherches montrent que le lien entre troubles mentaux et criminalité est beaucoup moins fort qu’on ne le croit. Une grande majorité des personnes souffrant de pathologies psychiatriques n’ont jamais eu de comportements violents ni commis d’infractions. Les troubles mentaux, pris isolément, ne sont généralement pas des facteurs prédictifs de comportements criminels. Ce sont plutôt des facteurs contextuels — tels que la précarité, les abus subis, l’exclusion sociale, ou encore la consommation de substances psychoactives — qui augmentent le risque de passage à l’acte, y compris chez les personnes qui ne présentent aucun trouble psychiatrique.
Certaines études ont bien identifié une légère augmentation du risque de comportements violents chez des individus souffrant de troubles sévères, comme la schizophrénie paranoïde ou certains troubles de la personnalité, mais ce risque reste faible et ne permet en aucun cas de généraliser à l’ensemble des patients. D’ailleurs, ce type de corrélation est souvent détourné ou mal interprété. Le fait qu’une pathologie soit présente dans certains cas ne signifie pas qu’elle en soit la cause principale. Les actes violents sont multifactoriels, et il serait intellectuellement malhonnête de réduire leur compréhension à une seule explication psychiatrique.
Ce que la science révèle avec constance, en revanche, c’est que les personnes atteintes de troubles mentaux sont bien plus souvent victimes que coupables de violence. Elles sont davantage exposées aux agressions, aux abus, à la maltraitance institutionnelle ou domestique. De surcroît, la stigmatisation sociale engendre un isolement profond, une perte de confiance en soi, et parfois un refus de soin ou un retrait complet du tissu social. Ce rejet nourrit un cercle vicieux : plus les personnes sont marginalisées, plus elles sont exposées à des situations de crise, et plus on les considère comme « dangereuses ».
Il est donc légitime de dire que l’association entre criminalité et troubles mentaux tient davantage de la stigmatisation que de la réalité scientifique. Cette confusion persistante nuit gravement à la dignité des patients, et freine les avancées vers une meilleure inclusion. Elle détourne également l’attention des véritables causes de la criminalité, qui sont souvent liées à des inégalités sociales profondes, des parcours de vie marqués par les traumatismes ou des défaillances structurelles des institutions.
Pour sortir de cette impasse, il est nécessaire de renforcer l’éducation à la santé mentale, de soutenir les professionnels de la psychiatrie, de développer des politiques de prévention efficaces et de traiter les questions de criminalité avec la complexité qu’elles requièrent. Réduire un acte criminel à une pathologie mentale, c’est ignorer les ressorts sociétaux, psychologiques et économiques qui l’ont permis. C’est aussi, en définitive, perpétuer une injustice envers des millions de personnes qui luttent dignement contre la maladie, sans jamais représenter un danger pour autrui.